L'Etape du Tour Acte II : pour le pire mais surtout le meilleur

Publié le par Manudlt

 

      Où commencer ? Peut-être en novembre 2011 lorsque, me remettant tout juste de mon premier Marathon à Toulouse, je reçois un coup de fil de Quentin et Antoine, potes de Paris me proposant un nouveau Challenge, l’Etape du Tour : « Faut absolument s’inscrire demain, c’est énorme comme épreuve, en fait tu fais la même étape que les pros mais quelques jours avant. Chauffes toi ! , mais faut se dépêcher car les places partent très vite . Je me rends donc sur le site de l’épreuve et prends connaissance de l’événement. Etape Pau-Bagnères de Luchon le 14 juillet 2012, 201 km, 5 cols à franchir (Aubisque, Soulor, Tourmlalet, Aspin, Peyresourde). Je m’arrête là. J’en ai déjà trop vu. Ca me semble infaisable, puisque je ne fais pas de vélo. Mais qu’importe. J’ai bien couru un Marathon trois mois après m’être mis à la Course à Pied. Pourquoi pas cela ? je m’inscris. Plus à une bêtise prêt. Novembre  Juillet. J’ai le temps de me préparer. 

Sauf qu’à force de penser qu’on à le temps, et bien on le laisse filer…Décembre, janvier, février, mars…toujours pas d’achat de vélo en vue…Avril, Marathon de Paris, mon premier objectif..Et début mai, réveil soudain : l’Etape du Tour est dans 2 mois et demi. Toujours 0 kilomètres au compteur. Pas besoin d’aller plus loin dans les détails de ma préparation. Je vais me présenter finalement au départ de l’épreuve avec 750 km dans les gambettes. Ca ne pèse pas lourd.

 

 

Les derniers réglages 

 

Jeudi 12 juillet, midi. Je quitte Toulouse pour rejoindre mes compères parisiens Antoine et Quentin à Pau. La course n’est que le Samedi, mais il nous faut récupérer les dossards, et surtout  aller déposer la voiture à Bagnères de Luchon. Les retrouvailles provoquent une nouvelle montée d’adrénaline qui ne me lâche pas depuis quelques jours. On arrive pas vraiment à évaluer ce qui nous attend, mais on se sent en forme. 

Salon

Nous nous retrouvons donc au Parc des Expos de Pau, où se trouve le Village de l’Etape. Nous récupérons les dossards et la position qui sera la notre au départ : SAS 9, avec sûrement d’autres arrivistes, comme nous. Rigolo. Ce qui l’est moins sera sûrement la voiture          horaire qui  devrait nous coller aux cuissards, et peut-être même nous ramasser avec les papiers et les écorces d’orange  sur le bitume. Mais par chance, je croise sur le stand de l’organisation, Christophe d’ASO, avec qui je suis en contact sur Twitter et qui spontanément nous déplace dans le SAS 3…Je ne saurais que trop peu l’en remercier…Une partie de la course s’est sûrement jouée à ce moment là…

Nous voilà donc rassurés, d’autant que la météo d’annonce clémente, ne cesse t’on de répéter dans les travées du village…comme pour se rassurer.

 

Vendredi 13 juillet. Nous partons tôt déposer la voiture à l’arrivée, à Bagnères de Luchon, avant de reprendre une navette pour Pau. Nous laissons donc Titine à l’aérodrome de Bagnères, au pied de ces pyrénées, majestueuses qui se dressent devant nous, comme pour nous montrer que dompter ses pentes se mérite. Impressionnant. Je bouille, je n’en peux plus. Encore une demi-journée avant d’enfourcher ma bécanne et tenter de défier ces montagnes, comme bien d’autres l’on fait avant moi.

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Nous partîmes 5 000…

 

Samedi 14 juillet : 5h00. Le réveil sonne. J’ai réussi à dormir 6h, un luxe la veille d’un rendez-vous comme celui là.  Les Energy Cake Isostar ont été préparés la veille, et nous nous retrouvons avec Antoine et Quentin, attablés, sans mot dire. Mais nos regards parlent pour nous . Nous nous sommes nourris depuis bien des semaines d’une motivation extrême. Nos yeux encore embués pétillent déjà. Tellement de fois nous nous sommes refait cette scène dans la tête. Le départ, l’émulation collective, la souffrance dans des pentes mythiques, et puis l’ ‘arrivée. Aura-t’on la force de lever les bras. Quelle mimique privilégier ? A la Virenque ?

 

Nos affaires sont prêtes. Rien n’a été laissé au hasard, à commencer par la nutrition. Isostar est évidemment notre fournisseur officiel. Toute la gamme ou presque pèse dans les poches. Les gels booster Colas, un Actifood Pêche, un à la Pomme, une barre Céréal Max, 3 barres Long Energy, Une barre Recovery, les Energy Tabs, deux bidons de Poudre Long Energy un sachet de Lactic Acid Stopper, et deux barres High Energy Bretzel, scotchées sur on cadre. Technique imparable pour gagner de la place. Pour le reste, il y aura les ravitaillements. Cela nous fait une bonne base. 

 

Fin prêts à 6h00, nous quittons notre logis et enfourchons les bolides, direction la place de Verdun. Les rues sont désertes, mais au fur et à mesure que nous approchons du centre, nous récupérons dans nos roues des cyclistes, eux aussi solidement harnachés formant ainsi un petit peloton jusqu’à la place. La musique rythme les flots d’arrivées de toutes part. Nous prenons position dans le SAS 3. Tout le monde à pour l’instant le sourire, et à 7h00, les applaudissements accompagnent le départ des tous premiers, qui sont attendus à Bagnères vers 12h45. 

   départ copainsdepart matin

 

Puis c’est à nous de partir. Peu de choses peuvent égaler pareil moment. Nous passons sous l’arche, un bip validant le lancement du compteur. C’est parti. Quelques courageux matinaux nous encouragent. Et déjà une première descente vers la sortie de Pau. Je ne suis pas à l’aise. Ca fuse à ma droite, à ma gauche. Le boulet lui, est au milieu !  Antoine et Quentin ont déjà pris de l’avance, ce n’est qu’à la sortie de Pau que je remboîte leur roue. Nous serons notre propre peloton. C’est le revers de la médaille d’un départ en SAS 3, cela va bien trop vite pour nous.

Nous avons une quarantaine de kilomètres pour rallier Laruns, et le pied de l’Aubisque, première difficulté de la journée. Nous nous stabilisons à 32/33 km/h. je trouve que c’est déjà beaucoup pour nous , et en tenant compte de ce qui nous attend derrière. Je prends donc le parti de lever un peu le pied, en laissant Antoine et Quentin, plus baroudeurs que moi ouvrir la route. Tous les 10 min, nous sentons comme un essaim d’abeilles arriver de loin et nous passer à côté. Les partants par SAS se sont intelligemment constitués en peloton. Ca va vite très vite. Mais nous tenons le cap. Les sensations sont bonnes. 

Gan, Rebennacq. Je connais ces routes, car en dépit d’une préparation très limitée, je suis venu il y  a trois semaines repérer le parcours empruntant cette route avant de grimper l’Aubisque, et le lendemain le Tourmalet… Pas de surprise donc au moment d’attaquer une côté d’un bon kilomètre au km 20 qui à le mérite de piquer et de rappeler à l’ordre ceux qui se sont vus trop beau en début de course…Les jambes répondent toujours de mon côté, c’est bon signe.

 

Là où tout commence

 

Nous acheminons donc tous les trois vers Laruns où nous arrivons à 8h30. Et comme un clin d’œil, s’avance à mes côtés une jeune femme qui semble me reconnaître et me lance :  « comment ça va depuis l’Aubisque  il y a 3 semaines ? ».  Je reconnais alors Christel, rencontrée 3 semaines auparavant dans les derniers kilomètres de l’Aubisque avec son Oncle. Nous avions alors sympathisé en se donnant amicalement rendez-vous au départ de l’Etape. Sympa de se retrouver comme cela , parmi 5 000 coureurs, au pied d’une pente que nous avons pour partie découvert ensemble !

Un net regroupement c’est opéré dans les premiers mètres de l’ascension. On est pas loin du bouchon…La pente jusqu’aux Eaux-Bonnes n’est pas trop exigeante, avec une moyenne à 5/6% permettant une bonne mise en jambes. La bonne humeur prédomine. Chacun y va de ses blagues ou de ses commentaires. Des vieux rouleurs derrière refont l’ensemble du parcours à des novices. Chacun à sa version sur le moment où tout se complique. C’est marrant.

 

L’arrivée à Eaux-Bonnes marque donc le véritable début de l’ascension avec 11 km à fort pourcentage jusqu’au sommet. Je reconnais chaque virage, et sais qu’il faudra notamment gérer le dernier tronçon après la station de Gourette. Nous prenons notre rythme avec Quentin , lui privilégiant la montée en danseuse, quand je préfère rester le « cul dans la selle » à rythme régulier. Antoine, au gabarit plus lourd préfère, comme je l’ai fait en plaine monter à son rythme et se laisse progressivement décrocher. A mesure que nous montons , nous nous rapprochons d’un blizzard qui ne laisse rien présager de bon…Un passage à 13% créer quelques cassures, que les portions sous les protections avalanches avant l’arrivée à Gourette se chargeront d’accentuer. Mais nous tenons toujours le rythme sans souffrir, et profitons du premier ravitaillement à 4,5 km de l’arrivée pour mettre pied à terre et prendre 3 min pour s’hydrater et manger : fruits secs, bananes, cela fait du bien. Le froid commence à être de plus en plus vivifiant, mais la gentillesse des bénévoles et leurs sourires viennent réchauffer le tout. « Nous non plus on a pas chaud les enfants » ! ne manquent-ils pas de souligner avec humour.

 

Alors que nous repartons avec Quentin, Antoine arrive, donc juste le temps d’échanger quelques encouragements et nous repartons, le laissant à son tour se ravitailler. Nous reprenons le même rythme qui était le notre avant cette pose, et n’allons plus le quitter jusqu’au col. Les pourcentages deviennent de plus en plus exigeants, et on ne voit pas à 20 mètres. A 2 km du col, Quentin creuse un petit écart que je ne cherche à combler au risque de me retrouver en surrégime. Je le retrouve en haut du col quelques minutes plus tard. Col d’Aubisque (1709m) en 1h34.

 

Froid, pluie, couvres-toi

 

 Il pleut et fait 5 degrés.  Une autre course va alors commencer. Les regards se croisent en haut du col, sur les visages déjà marqués par près de 3hres d’effort vient s’ajouter l’appréhension d’une descente qui s’annonce terrible. Nous enfilons nos k-way et ne tardons pas à basculer vers le Col du Soulor (1474m). Dès lors, c’est chacun pour soi et la vigilance doit être de toute instant. Je ne sais pas descendre et vais me retrouver en souffrance dès les premiers kilomètres, crispé sur mes freins, la pluie glaciale venant pétrifier chaque partie de moi. J’ai très peu de visibilité, et ne distingue même plus Quentin plus à l’aise et donc déjà devant.  Je souffre bien plus qu’en montée. C’est terrible. J’ai peur de lâcher mes freins. Les plus agiles me doublent à gauche à droite, je me laisse emporter. Puis après une dizaine de kilomètres de souffrance j’enchaîne avec les 2 km de montée menant au col du Soulor.  Un nouveau Peloton se reforme dans la montée, mais plus de Quentin, d’Antoine ou de Cristel. Pas un bruit. Je pense que chacun est encore un peu sonné par cette dure passade.

 

Je ne prends pas la peine de m’arrêter en haut du Soulor, juste de regarder si Quentin s’est arrêté pour m’attendre. Je ne le vois pas. Tant pis, je le retrouverais au ravitaillement d’Argelès Gazost, dans une petit vingtaine de kilomètres. Mais avant cela, à nouveau de la descente, et à nouveau un grand moment de solitude qui s’annonce. Chaque virage devient une plaie, chaque ligne blanche me laisse penser que je peux glisser à n’importe quel moment. Le regain progressif  de température est une maigre source de réconfort. Tout me passe par la tête. L’envie d’abandonner, de continuer à me battre, d’aller me réchauffer chez l’habitant….Mais je m’imposerai pas ce traitement de faveur et poursuit donc ce chemin de croix.  

Le passage par les villages d’Arrens Marsous et d’Aucun me redonne du baume au cœur car me voilà sorti de la brume, dans la vallée, et quelques encouragements viennent m’apporter le minimum de moral pour me faire tenir jusqu’au ravitaillement que je finis par rallier. J’y aperçois plusieurs centaines de coureurs emmitouflés dans des couvertures de survie. Les premiers « j’arrête les frais » commencent à se faire entendre. Quentin me fait signe. Quel bonheur de voir un visage familier ! On dévalise le ravitaillement, tout en se racontant notre descente, et en se demandant où en est Antoine, qui nous rejoint à ce moment là. Bon descendeur, il regagné du temps sur cette dernière portion.

Cette pause durera une dizaine de minutes, le temps d’aller attraper à notre tour une couverture de survie roulée en boule sous notre maillot pour offrir un peu de résistance au froid qui gagne chaque partie nos petits corps. Et après 90 km d’effort, nous voilà repartis. Il n’en reste « que » 111. Et trois cols, dont le Tourmalet. Prochaine réjouissance.

 

 

En perdition…vers un abandon ?

 

Je crains cette vingtaine de kilomètres qui doit nous mener à Luz Saint Sauveur et le pied du géant des Pyrénées.  Car il s’agit  à Partir du village de Pierrefite de 15 km de légère montée à 4-5%. Un vrai casse patte qui reste un mauvais souvenir de ma première journée de repérage. Mais qu’importe, nous avançons, à notre rythme, soucieux de récupérer au mieux avant l’ascension mythique qui s’offre à nous. 

Arrivée à Luz, nous nous nourrissons une dernière fois des mots de soutien et des claquements de main pour entamer une montée de 18km à 7,4% de moyenne et près de 1400 m de dénivelé.  Psychologiquement, je prends cependant un petit coup car c’est ici que je m’étais arrêté lors de mon premier round de repérage, avant de revenir le lendemain pour une montée sèche. Je n’avais pas eu le courage d’enchaîner…

Mais  malgré l’exigence de son ascension, le Tourmalet reste un col dont la montée est relativement régulière, et à l’exception de deux passages, permettant de conserver sur la quasi totalité le même braquet. On se rassure comme on peut.

A l’attaque donc des longues premières rampes, interminables lignes droites qui vous tuent à petit feu. Je reste calé dans la roue de Quentin, qui lui-même se porte à hauteur de Christel, que nous retrouvons après l’avoir quitté au ravitaillement de Gourette. Antoine  lui redécroche, comme dans l’Aubisque pour ne pas se griller.

 

Cela doit peut-être faire déjà 5h00 que je roule. Et dans les premiers virages, après 3 kilomètres d’ascension je commence à dans ma tête lâcher prise. Je sais en plus que se profile dans 2 ou 3 km la traversée de Barèges avec plusieurs kilomètres à 10-11%. Seuls les cris de Quentin juste devant me font tenir à ce moment là « Allez Manu, Allez, tiens le coup ». Il me faut tenir au moins jusqu’au prochain ravitaillement, à 8 km du sommet. Là je ferai le point. 

Mais à ce coup de bambou vient s’ajouter un terrible mal de ventre. L’accumulation de sucré commence à peser sur mon organisme. 

Comme prévu je suis en perdition la plus totale au passage dans Barèges. C’est terrible. Je me raccroche alors à ce qui peut me faire du bien, Ma Lolo, mes nièces en tête. Je me dis aussi qu’au Marathon de Paris j’étais mal au 11eme km mais que j’avais su laisser passer l’orage pour finir en trombe avec un chrono inespéré. Tout cela nous porte finalement ma bécanne et moi jusqu’au ravito, avec un fait marquant : j’ai du battre ou au moins me rapprocher du record du monde de gobage de TUC, en un temps record. Et contre toute attente, de TUC au bacon, bien sûr ceux que je snobe habituellement en apéro. Mais à bien y penser ça ne sera pas le seul fait marquant. Puisque me remonte aux narines une odeur de clope. Et scène irréelle, j’aperçois ce cycliste tranquillement en train de pomper sa doser de gouderon . L’histoire ne me dira pas s’il s’agissait de la clope de l’abandon. Incroyable.

                                        ravito-tourmalet.JPG

 

Cette ascension est d’habitude si belle lorsque le ciel dans sa plus grande clémence nous laisse apercevoir le Pic du Midi, que se la coltiner dans la brume lui ôte toute saveur. Ce ravitaillement m’a redonné un peu de jus….pour 3 km, et à peine passé le panneau indiquant « sommet à 5 km » je recommence à flancher, et laisse finalement Quentin me décrocher progressivement. Me voilà seul.  J’ai du mal à mouliner mais prend la sage décision de conserver malgré tout mon dernier pignon pour les deux derniers kilomètres, et surtout les 400 Derniers mètres à 15% . 

Dans les virages, sont déjà postées moultes camping cars. Les places sont chères sur le Tour de France et même si l’étape des pros n’est que dans 5 jours, certains l’ont bien compris. Une question tout à fait pratique m’occupera alors l’esprit deux bonnes minutes : que font ces gens pendant 5 jours, leur engin perché à flanc de montagne, et de surcroît lorsqu’il pleut ? Je ne suis pas allé plus loin en y apportant des réponses. Je conclue cette courte parenthèse en me disant que c’est finalement cela la beauté du Tour ! 

Ma tête semble en tout cas avoir repris le relais de mes jambes, et c’est au mental que fini cette troisième ascension en 2h08, l’agonie me gagnant presque dans la dernière mythique portion du Tourmalet côté Luz. 

Difficile de s’arrêter des heures au col, le passage y est étroit. Quentin m’y attend depuis 5 min. Le temps de renfiler mon K-way. Les conditions sont encore pires qu’en haut de l’Aubisque et il règne comme une sensation de chaos à l’idée de devoir à nouveau descendre dans des conditions comme ça. À peine le temps de se demander où peut en être Antoine et nous repartons.

 

         Tourmalet.png

 

Quand le sort s’acharne

 

Je vous épargnerai une nouvelle pénible description de cette descente. Des doigts qui ne répondent quasiment plus, des larmes qui ont peu à peu commencé à couler, j’ai sans nul doute vécu un moment de douleur physique comme rarement j’en avais eu, m’obligeant à m’arrêter à quelques secondes à mi-descente pour reprendre mes esprits. Je ne suis d’ailleurs pas le seul. 

Je bénis la vue des premières bâtisses marquant l’arrivée à Sainte-Marie de Campan, et un nouveau ravitaillement. Quentin est là, tout aussi transi que moi. Premier réflexe est d’aller demander une couverture de survie. « On n’en a plus » me répond t –on dans la tente de secours où des coureurs sont entassés comme des sardines cherchant le moindre courant de chaleur. Tant pis pour moi. Je  ressors et vais poursuivre mon festival de TUC. Comme à Argelès, les abandons semblent se multiplier. Après 135 km de course certains préfèrent jeter l ‘éponge qu’être de toute manière ramassés par la voiture balai au pied du prochain col.

 

  Quentin me motive pour repartir rapidement . « Aller Manu, on a fait le plus dur ». Il a raison. Il reste 65 km et deux cols moins terribles que les deux premiers…Mais ai-je envie de repartir ?  Je remonte péniblement sur la machine, mais au bout de quelques mètres , me rend compte que j’ai crevé. De quoi m’achever. Je n’ai ni chambre à air de rechange, ni pompe. Le désarroi. Quentin me regarde. Je le somme de poursuivre sa route, il hésite. J’insiste et le regarde finalement repartir. J’ai l’impression d’être désormais perdu au milieu d’un camp de réfugiés. « Manu, prends toi en main, prends une décision , vite ».  Après deux tentatives, la troisième  est la bonne, un anglais qui vient de poser le pied à terre me donne gracieusement l’une des ses deux chambre à air de rechange. Je ne le remercierai jamais assez. God Bless tous les cousins Rosbeefs. Il me faudra ensuite 10 min pour trouver une pompe correcte. Puis vient le moment de changer le tout. Ca doit faire 10 ans que je n’ai pas changé une roue. Ce qui me fera finalement perdre près de 30 min. Heureusement, alors que je suis sur le point de repartir, je vois arriver Antoine. Je suis content de voir qu’il a tenu dans le Tourmalet. Content de le voir tout court. 

 

Nous reprenons donc la route ensemble, tout en sachant que le temps presse. Et notre marge sur la voiture-balai fond de minute en minute. Ces 30 minutes de break m’ont clairement redonné du jus. Me voilà donc en danseuse, parti dans une course contre la montre. Antoine ne peut prendre ma roue. J’espère alors qu’il ne m’en voudra pas de tenter de combler un minimum du temps perdu par cette crevaison. 

 

Progressive renaissance

 

Je file vers le pied d’Aspin. Je vais mieux, et la pluie s’est arrêtée. Je remonte plusieurs petits groupes progressivement. Je laisse de l’énergie à faire cavalier seul, mais je prends le risque. Pour finalement prendre la roue d’un type d’une cinquantaine d’année qui avance à bon rythme. On entame une petite discussion. « Hors de question d’abandonner, mais c’est vrai que cette étape est plus dure que celle de l’année dernière jusqu’à St Flour » me dis t il alors que je lui demande si il y a pensé. «  On se prépare toute une année pour cela quand même ». Très égoïstement, cette phrase me rebooste. Il s’est préparé toute l’année pour cela. Mois deux mois et je suis encore en vie au km 150. J’ai de la chance. 

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C’est au Lac de Payolle que commence véritablement la montée de ce col. 5-6 kilomètres de vraie montée à 7-8% . J’ai trouvé le bon braquet, le bon rythme. Je ne me pose plus de questions. Je suis de plus en plus proche de mon but. Je continue de gratter quelques places. Cette montée, dans les sapins est en plus agréable. La brume est toujours présente, mais peu importe, pour la première fois depuis l’Aubisque, malgré la fatigue j’ai l’impression de sortir la tête de l’eau. Et même si depuis plusieurs kilomètres déjà ma tête est le seul guide, je suis convaincu que le programme nutritionnel soigneusement concocté par Georgine, nutritionniste chez Nutrition et Santé, pour les 3 jours précédant l’épreuve porte ses fruits à ce moment précis. Une lourde charge en glucides (800 g de glucides par jour), mais oh combien nécessaire. Merci Gerogine !  Je profite de ce court état de grâce pour sortir ma « barre récompense », la barre Recovery Chocolat Isostar. Glucides et protéines, cela ne me fera pas de mal. 

Le dernier kilomètre jusqu’au col est long, mais je vois le bout.. M’y voilà , après 31 minutes de montée…Je prends seulement le temps de pisser et remplir mon bidon. Je suis dans une bonne dynamique, autant en profiter !

 

Les 11 km de descente jusqu'à Arreau vont être moins terribles que prévu. D’abord parce Aspin ne culmine « que » à 1489 m, et la température y est donc moins pétrifiante que dans les précédents cols, puis parce elle est relativement courte, bien qu’exigeante. Je redescends donc sans trop d’encombre vers Arreau où m’attend le dernier ravitaillement du parcours. Je ne m’y éternise pas, 3,4 minutes tout au plus. Puis repars. 

 

Je sais qu’à ce moment là je suis à un peu moins de 40 km de l’arrivée. Je n’ai plus qu’un seul gros effort à fournir, dans Peyresourde. Je commence donc dans ma tête à basculer vers des pensées plus positives, à imaginer à nouveau le passage sous l’arche d’arrivée…Mais dans le même temps mes jambes me rappellent qu’elles ont 160 km dans la carcasse. Ce mélange de sentiments, accompagné d’encouragements providentiels dans les rues d’Arreau me font craquer sur mon vélo. Je pleurs comme un gamin. Détermination et fatigue, je craque… cela dure quelques instants. Me voyant à ce point marqués, sur le bord de la route, les curieux  redoublent d’encouragements. Un beau moment. Ça me fait du bien.

 

Course contre la montre

 

Il faut une petite quinzaine de kilomètres pour rallier le pied de Peyresourde. Je retrouve sur cette portion de cycliste d’une cinquantaine d’année, qui semble contrarié. « Je viens d’avoir mon frère au téléphone, il vient d’être repris par la voiture balai en bas du Col d’Aspin ». Cela ne nous semble pas si loin…L’étau se resserre. A t-on encore de la marge ? nous ne le savons pas vraiment. Je pense alors immédiatement à Antoine…Se bat-il aussi comme un diable contre une contrainte horaire qui ne le lui fera pas de cadeau ? Son vélo est-il déjà rangé avec d’autres à l’arrière du camion balai ?  Chaque coup de pédale devient lourd mais nous n’avons d’autre choix que d’accélérer. 

Arrivés en bas de la montée, le panneau indiquant la distance à parcourir jusqu’au col est les dénivelé nous offre une fausse joie. « Sommet à 9km, pente à 6,5% ». Un pourcentage valable pour les 700 premiers mètres car la suite ne sera qu’une pente de 8 % en continue, dont 1 passage à 9%, sans répis.

Pour autant, on sent chaque coup de pédale emprunt d’une détermination sans faille chez chaque participant. Chaque kilomètre parcouru nous rapproche un peu plus d’un moment tant attendu, où dans ces conditions la notion de dépassement de soi prendra encore plus de sens. 

Je prends un dernier gel booster Colas en milieu de pente pour m’apporter dans les derniers hectomètres un ultime coup de jus. Je tiens un bon rythme compte-tenu de ce que j’ai déjà dans les jambes. Le dernier kilomètre et demi est une ligne droite, et je retrouve ces caravanes alignées sur le bord de la route. Les mordus de vélo qui attendent les pros quelques jours plus tard, nous acclament comme si nous étions les Voeckler , Schleck et autres Wiggins..1 km qui me paraît cependant interminable, et puis ca y ‘est, petite délivrance…je franchis ce dernier col..en un honorable 54 min…Je ne risque plus d’être rattrapé par la limite horaire. Les sourires illuminent ce début de soirée. Les participants savourent ce moment, prennent leur temps avant la descente…il est déjà 19h. Bientôt 12h que je suis sur ce fichu vélo.

 

       sommet Peyresourde

 

 

Et au bout , la lumière

 

 Mais pas le temps de penser à tout cela. Juste de remettre mon coupe-vent pour 15 km de descente. 15 km..Je ne vais évidemment prendre aucun risque inutile, bien que cette descente soit très roulante…Je me sens faible et sui conscient que le moindre moment d’inattention pourrait venir tout balayer en une fraction de seconde…Je regarde régulièrement derrière et devant bien évidemment. J’ai l’impression d’être seul…Comme si la montagne m’offrait ces derniers moment à profiter seul…

Tout se bouscule dans ma tête. Le trio magique entrecôte-frite-bière que je vais m’enfiler à l’arrivée pousse sur mes lèvres un sourire non dissimulé….Puis tout ce que j’aurais à raconter, ces moments terribles mais aussi ceux de partage de la souffrance et d’entraide…C’est énorme.

 

Deux dernières courbes. J’aperçois enfin le panneau indiquant l’entrée dans Bagnères de Luchon…

Puis le tant attendu passage sous l’arche indiquant le dernier kilomètre. Les gens applaudissent accoudés au barrières qui bordent la route. Comme pour les pros. Et comme le font les pros , je relance en danseuse dans les 400 premiers mètres après cette cette arche. L’émotion est immense et monte progressivement. J’entends la Speakrine qui exhorte les petites centaines de personnes massées  à l’arrivée à donner de la voix pour les derniers  arrivants que nous sommes.  300, 200, 100, j’y suis. Discrètement je lâche ma mimique. J’embrasse mon doigt que je pointe vers le ciel. Incroyable moment. Mon moment de fierté. 

 

    arrivée 2arrivée 1

 

A ce moment là tout s’efface. Ne reste que le bonheur. Juste cela. Dernier BIP pour valider mon chrono. 12 h 13 min et 1 sec…Sans cette crevaison j’auras été sous les 12h..Mais donc finalement une 3788ème place sur 4696 partants. Honorable ! D’autant qu’heureuse surprise que je découvrirais après, je me retrouve en 2835 ème position au classement des grimpeurs…

 

Mais finalement   peu importe, la médaille qu’une bénévole me remet avec le sourire vaut tous les chronos du monde. Et à ce même moment j’entends un « Manu, Manuuuuuuuu Yahlaaaaaaaa mon vieux ». C’est Quentin. On se retrouve d’une franche accolade pleine d’émotion. Il est arrivé 30 minutes avant moi. Il vient d’avoir Antoine, qui a finalement été rattrapé en bas de Peyresourde. Triste évidemment, mais avoir déjà fait 180 km avec aussi peu de préparations et dans des conditions dantesques est déjà énorme. C’est ce que nous redirons à Antoine, quelques minutes plus tard…

 

 

J’ai encore des frissons à rédiger ces dernières lignes. Ainsi se termine une riche année de découverte du sport d’endurance, entamée en juillet 2011, et la reprise du footing après 1 an d’inactivité sportive. Le marathon de Toulouse en octobre (3h49), celui de Paris en avril (3h19) et enfin cette mythique Etape du Tour 2012 (12h13) en auront été les 3 grands moments. Cela ne me donne qu’une envie, aller encore plus loin dans les mois à venir. RDV vous donc dès septembre pour de nouvelles aventures. 

 

 

Remerciements :

 

Ma lolo, pour sa patience et son soutien

Tonio et Quentin, amis et partenaires de joie et de souffrance

Georgine et Hervé pour leurs précieux conseils

Bertille et Stéphane pour leur accueil qui nous a mis dans les meilleurs conditions

Christophe P et ASO pour une belle organisation

Isostar of course, qui m’a fourni l’essentiel pour aller au bout de mon défi

Et toutes celles et ceux que j’oublie…

 

 

 

Publié dans Cyclisme

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M
Merci bcp Mara! En effet, toujours une petite actu dans la famille :) ! J'espère que tu vas bien.<br /> A très bientôt
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M
Super je suis très fière de toi. Il se passe toujours qqch<br /> dans la famille dlt !!<br /> bisous<br /> mara
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S
Superbe récit ! Rendez-vous pour la centième du TDF l'année prochaine. Ca va être fou!
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